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Historique

Un fil qui traverse les siècles: quand le progrès électrique rencontre la sensibilité humaine

Depuis les premiers travaux sur l’électricité jusqu’aux technologies contemporaines, un phénomène constant apparaît certaines personnes ressentent des effets physiques, nerveux ou sensoriels liés à leur environnement électromagnétique.

L’électrohypersensibilité (EHS), le syndrome d’intolérance aux champs électromagnétique (SICEM) ou encore le syndrome des rayonnements électromagnétiques (S-REM), tels qu’on les nomme aujourd’hui, n’est donc pas un phénomène récent. Ils s’inscrivent dans une trajectoire historique, que des auteurs comme Arthur Firstenberg ont contribué à documenter.

Une sensibilité humaine observée dès les débuts de l’électricité

Jean-Antoine Nollet – 1753

Dès 1753, l’abbé Nollet décrit un fait essentiel: le corps humain est conducteur et les individus ne réagissent pas tous de la même manière aux stimulations électriques. Il ne parle pas encore de trouble, mais il remarque la variabilité humaine face à ces phénomènes.

XIXᵉ siècle: l’électrification et les premières descriptions cliniques

George Miller Beard – 1869

Le médecin américain George Miller Beard décrit la neurasthénie, caractérisée par fatigue nerveuse, troubles du sommeil, irritabilité, acouphènes et difficultés de concentration. Ces symptômes apparaissent notamment chez des personnes travaillant le long des lignes télégraphiques, premières infrastructures électriques déployées à grande échelle.

Margaret Abigail Cleaves – fin XIX siècle

La doctoresse Margaret Abigail Cleaves, pionnière de l’électrothérapie, documente dans son autobiographie une hypersensibilité marquée : douleurs nerveuses, troubles sensoriels, fatigue persistante, intolérance au soleil. Son exposition professionnelle aux courants électriques joue un rôle central dans son témoignage, d’une grande richesse clinique.

Rudolf Arndt

Ce médecin allemand établit un lien direct entre l’électricité et certains troubles nerveux. Il souligne aussi un phénomène social encore actuel : les personnes moins sensibles ont tendance à minimiser ou ignorer les réactions de celles qui le sont davantage.

Début du XXᵉ siècle: les métiers techniques et les nouvelles plaintes

Ernest Onimus – France

Décrit le «mal télégraphique», touchant des employés exposés continuellement aux signaux électriques du télégraphe.

Louis Le Guillant

Ce psychiatre documente la «névrose des téléphonistes», marquée par une fatigue extrême, hypersensibilité sensorielle, céphalées et irritabilité. Les premières infrastructures téléphoniques, alors électromécaniques, créent un environnement nouveau auquel certains organismes réagissent.

Ivan Setchenov

Physiologiste russe, il démontre la variabilité du système nerveux face aux stimulations répétées. Cette observation préfigure la reconnaissance moderne de sensibilités individuelles face aux environnements physico-techniques.

Années 1930: l’apparition du concept d’effets non thermiques

Erwin Schliephake – 1932

Le médecin allemand Schliephake rapporte des effets biologiques liés aux ondes électromagnétiques sans élévation de température. Il s’agit là de la première description claire d’effets non thermiques, notion centrale dans les discussions scientifiques contemporaines sur l’EHS.

Années 1940–1950: l’ère des radars et le «syndrome des micro-ondes»

Les opérateurs radar de la Seconde Guerre mondiale (États-Unis, Royaume-Uni, URSS) décrivent des symptômes : maux de tête soudains, vertiges, irritations cutanées, difficultés de concentration, fatigue nerveuse. Ces observations, longtemps marginalisées, réapparaîtront plus tard dans des documents déclassifiés et formeront la base du syndrome des micro-ondes.

Comprendre l’EHS/SICEM/S-REM à la lumière du présent

Aux 20ᵉ et 21ᵉ siècles, l’augmentation massive des sources de rayonnements électromagnétiques — antennes relais, réseaux Wi-Fi, téléphones portables et autres technologies sans fil — s’est accompagnée d’un nombre croissant de personnes déclarant des symptômes tels que fatigue, maux de tête, troubles du sommeil ou diverses sensations d’inconfort. Les plaintes sont surtout rapportées dans les pays industrialisés, où l’usage des appareils connectés est le plus dense. En Suède, par exemple, la reconnaissance de l’électrosensibilité comme handicap permet la mise en place d’aménagements pour les personnes concernées.

Ces plaintes sont aujourd’hui — et depuis longtemps — bien documentées, mais la communauté politico-scientifique hésite encore souvent à reconnaître un lien possible entre l’exposition électromagnétique et l’apparition de ces symptômes. Cette difficulté reflète sans doute aussi les enjeux économiques qui accompagnent le développement de ces technologies.

Conclusion – Enseignements de 250 ans d’histoire

Lorsque l’on observe l’histoire longue des technologies électriques — du télégraphe aux radars, des premiers réseaux urbains aux communications sans fil — un constat se présente: les symptômes décrits en lien avec les expositions électromagnétiques sont constants depuis plus de 250 ans, et rapportés dès les premiers temps de l’électricité.

Les technologies évoluent, mais les manifestations corporelles demeurent: maux de tête, fatigue nerveuse, troubles du sommeil, difficultés de concentration, irritabilité, sensations inhabituelles.

Aujourd’hui, au regard de l’histoire, non seulement nous ne devrions plus contester la réalité de ces symptômes, mais le débat sur l’existence possible d’un lien entre symptômes et expositions électromagnétiques ne devrait plus avoir lieu: plus de deux siècles d’observations suffisent à montrer que ce questionnement est dépassé.

Si la reconnaissance d’un lien entre ces symptômes et les expositions électromagnétiques (en dessous des valeurs limites) reste encore aujourd’hui difficile, c’est certainement parce qu’une telle reconnaissance vient interroger — voire freiner — l’idée de progrès technologique. Cette tension n’a rien de nouveau : dès les premières phases d’électrification, les plaintes des personnes sensibles ont eu du mal à être entendues, précisément en raison des enjeux politico-économiques et sociétaux associés au développement de l’électricité. En d’autres termes, ce qui est tabou, ce n’est pas la souffrance des individus, mais ce qu’elle impliquerait pour notre modèle de développement.

Aujourd’hui, une tension croissante apparaît: plus les technologies numériques se développent et s’intègrent à tous les aspects de la vie quotidienne, plus le nombre de personnes déclarant des symptômes augmente également. Cette dynamique ne pourra probablement pas se poursuivre indéfiniment sans être repensée, car elle expose nos sociétés à un point de rupture potentiel entre innovation technologique et santé publique